Traverser les frontières : le personnel de la Compagnie internationale des wagons-lits
En 2024, les ANMT s'emparent de la thématique "Travail et migrations" en lien avec leur programmation culturelle du second semestre.
Quels sont les liens entre industrie et flux migratoires ? Qui est à l'initiative du départ ? Comment les travailleurs venus d'ailleurs vivent-ils et sont-ils perçus par la population locale ? Quels sont les secteurs les plus demandeurs de cette main d’œuvre ? Quel impact sur les cultures professionnelles ? Tout au long de l'année, nos dossiers ou documents du mois questionnent les liens entre migrations et travail.
Créée en 1876 par Georges Nagelmackers (1845-1905), un ingénieur et homme d'affaires issu d’une famille d’industriels et de banquiers originaire de Liège en Belgique, la Compagnie internationale des wagons-lits est la première à proposer des lignes équipées de voitures-lits et voitures-restaurants pour parcourir toute l’Europe.
Les archives de la Compagnie internationale des wagons-lits ont été déposées par le Fonds de dotation Orient-Express aux Archives nationales du monde du travail à Roubaix depuis 2022. Parmi ses 241 mètres linéaires couvrant une période de 1868 à 2014, plusieurs dossiers traitent de la question de la nationalité du personnel, dans une Europe dont la carte politique évolue sans cesse.
Le recrutement
Bien que la direction générale se situe à Paris, un certain nombre de Français postulent pour travailler au siège de la compagnie à Bruxelles (Belgique). La maîtrise de plusieurs langues est recherchée par la compagnie pour beaucoup de ses postes administratifs, commerciaux ou techniques. Il en va de même pour les bureaux administratifs des divisions de la compagnie dans les pays traversés. Le recrutement du personnel navigant est international, ce qui peut, selon les périodes, représenter un atout ou un frein pour le fonctionnement de la compagnie.
Les avantages de la fonction
Les membres de l’administration, de l’encadrement et des corps d’inspection sont amenés à circuler sur l’ensemble du réseau.
Ils bénéficient à ce titre d’une carte de circulation spéciale appelée « permis annuel » leur donnant accès à toutes les voitures de la compagnie sans payer de supplément. Les contrôleurs en revanche ont une carte de service leur permettant de voyager gratuitement.
Les passages de frontières
Le personnel embarqué sur des lignes multinationales est naturellement composé d’agents relevant de nationalités correspondant aux pays traversés, ce qui n’est pas sans poser des difficultés. Les trains de la compagnie, dont le célèbre Orient-Express, sillonnent les réseaux ferroviaires européens appartenant à d’autres compagnies de chemin de fer ; ils sont composés le plus souvent des propres wagons de la CIWL, mais parfois ils sont raccordés aux wagons de compagnies locales. C’est pour ces raisons que la compagnie passe des accords avec ces dernières. Or celles-ci imposent bien souvent à la Compagnie internationale des wagons-lits des conditions spécifiques quant à la nationalité du personnel navigant, ces exigences étant souvent liées au contexte international.
Ainsi, la ligne de l’Arlberg (Paris-Vienne) se trouve impactée en 1897, lorsque la Compagnie des chemins de fer de l’Est rappelle à la CIWL que, selon le traité qui les lie, le personnel doit être français sur le tronçon emprunté en France. La CIWL doit donc remplacer ses deux agents belges par des Français et doit scinder son équipage entre personnel français et autrichien au passage de la frontière avec la Suisse. Le contexte de l’Affaire Dreyfus, qui a éclaté en 1894, y serait pour beaucoup !
Le train Nord Express, qui traverse les empires allemands et russes, n’est pas épargné non plus en 1897. Cette fois, c’est le second maître d’hôtel du restaurant, un Prussien, qui pose problème sur le tronçon russe en février ; puis en mars c’est au tour du personnel de cuisine belge employé sur le tronçon allemand d’être mis sur la sellette, avant d’être finalement autorisé par le ministère prussien des Travaux publics.
Des histoires de visas
S’ajoute à ces contraintes l’obligation d’obtenir un visa pour tout agent embarqué devant rompre son transit pour séjourner à l’étranger (repos après trajet, réserve d’équipage, etc.).
Les visas ont des durées et des tarifs différents selon les pays, ce qui représente un coût pour la compagnie. Les réponses aux demandes de visa sont parfois négatives, ce qui met la compagnie dans des situations bien inconfortables pour composer ou recomposer ses équipages dans l’urgence…
Le suivi des demandes de visas auprès des consulats des pays concernés, parfois dans des délais très courts, occupe grandement les services administratifs de la Compagnie internationale des wagons-lits. Ces échanges administratifs sont l’occasion d’en apprendre un peu plus sur certains agents.
Sources
- Fonds de la Compagnie internationale des wagons-lits et des grands express européens et du tourisme, ANMT 2022 9.
Bibliographie
- 100e anniversaire de la Compagnie internationale des wagons-lits et du tourisme 1876-1976, Bruxelles, Compagnie internationale des wagons-lits, 1976.
- COUDERT Gérard, KNEPPER Maurice, TOUSSIROT Pierre-Yves, La Compagnie des wagons-lits, Paris, La Vie du rail, 2009.
- GRAVAYAT Eva, METTETAL Arthur, Orient-Express & CO. Archives photographiques inédites d'un train mythique, Villeneuve-lès-Avignon, Textuel, 2021. [ANMT BIB H 12057].
- METTETAL Arthur, Orient-Express & Cie : histoire et patrimonialisation d'une marque ferroviaire (19e-20e siècles), Paris, thèse d'histoire EHESS, 2022.